Dans les fjords du Groenland oriental se niche Tiniteqilaaq, village inuit de pêcheurs et chasseurs où le temps semble suspendu. En juillet 2023, j'ai eu le privilège d'y vivre une immersion de 12 jours, accompagnée par l'artiste carnettiste Marie Bobin dans le cadre d'un voyage organisé par Terres Oubliées.
Cette exposition de carnet de voyage témoigne d'une rencontre unique avec un territoire extrême et ses habitants, qui perpétuent des traditions millénaires tout en faisant face aux bouleversements du monde moderne. À travers ces croquis à l’aquarelle et quelques notes manuscrites éparses, je partage ces instants précieux où la vie quotidienne des chasseurs se mêle à la majesté des icebergs et les rires des enfants sur leurs trampolines résonnent avec le craquement de la banquise.
Les teintes singulières de l'été arctique - ces tons pastel qui ne quittent jamais vraiment le ciel - ont guidé ma palette, tandis que les paysages grandioses des fjords m'ont offert de profondes méditations dessinées.
Dans ce village de moins de 100 âmes, chaque page de mon carnet raconte une histoire : celle d'un chasseur qui dépèce méticuleusement son phoque, mi-surpris mi-amusé par notre désir de le croquer ; celle d'enfants jouant au foot face aux icebergs sur le terrain de l'école longeant le fjord Sermilik. Les plus téméraires s'approchent, curieux, acceptent les feuilles et pinceaux que je leur tends, puis repartent chez eux, fiers et heureux, avec leurs plus beaux dessins qu'ils conserveront précieusement. Je capture aussi le poisson sur les séchoirs, et les chiens de traîneau qui attendent le retour de l'hiver, entourés de chiots espiègles voleurs de pinceaux. Mes croquis témoignent aussi d'une réalité plus brute : le petit cimetière dominant le fjord, les fusils alignés en tête de gondole du magasin local, une imposante peau d'ours tendue séchant au soleil.
J'ai eu la joie de rencontrer Max Audibert, ce Marseillais devenu chasseur arctique qui a inspiré la remarquable bande dessinée "Sermilik" de Simon Hureau. Son parcours extraordinaire, passant d'étudiant en médecine à "l'Inuit blanc" vivant au rythme des traditions locales, incarne l'âme même de ce village où les destins peuvent prendre des tournants inattendus.
Le hasard m'a également amenée à partager des rencontres avec les protagonistes du film "Une année polaire". Les villageois, les enfants, et Ulrikaa, la grand-mère du petit Asser qui nous a accueillis chez elle pour partager café, chansons, musique et dessins. La découverte du film de Samuel Collardey à mon retour fut un moment particulièrement émouvant, tant il dépeint avec justesse la vie quotidienne de ce village. Sans le savoir j’avais évolué dans les décors naturels du film : l’école, le terrain de jeu, les maison des villageois, le port de pêche, les douches et toilettes publiques, la superette Pilersuisoq…
Cette exposition dépasse le simple témoignage esthétique pour inviter à une réflexion sur notre rapport au temps, à la nature et aux cultures traditionnelles. À l'heure où le Groenland subit de plein fouet les effets du changement climatique, ce carnet, la bande dessinée « Sermilik » et le film « Une année polaire » documentent un mode de vie qui pourrait se transformer profondément dans les décennies à venir. Ce carnet invite au voyage immersif, permettant une véritable découverte des habitants et créant les conditions propices aux échanges mutuels. Car c'est là toute la magie du carnet de voyage : immortaliser par le trait et la couleur ces instants précieux où l'art et le voyage se rejoignent pour tisser des liens entre les cultures, par-delà les frontières et le temps.
Géraldine Blanchet
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